Rambert Eugène – Les Alpes suisses (1ère série)

Les Alpes suises 1 - Eugène Rambert - Bibliothèque numérique romande - photo Sylvie SavaryRambert Eugène – Les Alpes suisses (1ère série) : Objet d’engouement indissociable de l’identité suisse, les Alpes, telles qu’on les envisage aujourd’hui, auraient été « inventées » au Siècle des Lumières, au moment où poètes et philosophes (Haller, Rousseau, Burke, Kant et Goethe, parmi d’autres) posent un regard nouveau sur la nature et introduisent dans l’esthétique européenne les notions de sublime et de pittoresque. Réputées jusqu’alors sauvages et inhospitalières, les Alpes se muent en paysages (Walter 94-97*) et deviennent bientôt une étape obligée du Grand Tour, offrant aux jeunes gens des élites britanniques et continentales des 18e et 19e siècles le spectacle grandiose de leurs panoramas. En réalité, comme le démontre notamment Claude Reichler**, cette thèse, encore très en vogue, mérite d’être nuancée. Car les Alpes ont toujours attiré les voyageurs, et ce bien avant le 18e siècle. Si certains n’y voient qu’un monde effroyable et monstrueux (Lescarbot, 1618, in Walter 91), d’autres – des intellectuels et savants sans doute plus hardis et plus éclairés – en ramènent des écrits richement illustrés (Reichler 2013) qui témoignent de l’intérêt continu que suscite, depuis la Renaissance, ce haut-lieu de l’imaginaire helvétique.

Les Alpes suisses, d’Eugène Rambert (1830-1886), s’inscrit dans le droit-fil de ce mouvement d’appropriation culturelle et scientifique du massif alpin qui fleurit particulièrement aux 18e et 19e siècles. L’œuvre, dynamique dans sa diversité, est celle d’un érudit et d’un curieux qui fut à la fois professeur (il donna son nom à un prix littéraire), poète, essayiste, naturaliste et grand amateur d’altitude. L’ouvrage, écrit d’une plume alerte et enjouée, fut publié en cinq séries entre 1864 et 1875. Malgré son ampleur encyclopédique, l’ensemble, quelque peu disparate, reste très accessible, car l’auteur a soin de mettre ses connaissances du terrain à la portée de son public citadin et sait faire partager à ses lecteurs sa ferveur d’alpiniste.

La première série, publiée en 1865, s’ouvre sur un petit essai (Les plaisirs d’un grimpeur) dans lequel Rambert se plaît à comparer l’alpinisme aux jeux de hasard. Vient ensuite le compte-rendu d’une exploration du massif glaronnais des Clarides. Nous sommes loin du tourisme pédestre d’aujourd’hui. L’escalade se fait à la force des bras et des jarrets, et à l’aide de cartes encore très incomplètes, mais les récompenses n’en sont que plus mémorables. Le texte suivant, une petite nouvelle (Les Cerises du vallon de Gueuroz), nous transporte dans la vallée du Trient et décrit à grands traits les dures conditions de vie des flotteurs de bois. Le partie principale du volume s’achève sur une étude de la flore alpine, dont on appréciera tant l’ampleur que la verve poétique : « La nature, écrit Rambert non sans humour, était en veine de romantisme, quand elle a marié à l’immobilité du sapin la joyeuse coquetterie du hêtre. […] Les jeunes sapins […] sont faits pour vivre en société et se prêter assistance. Aussi l’intérêt général l’a-t-il emporté sur les fantaisies de l’humeur individuelle. Tous prennent la forme qui convient le mieux à tous ; aucun ne dévie du type. Les nécessités d’une lutte en commun ont imprimé à la race entière un instinct d’ordre et de discipline. » Existe-t-il au monde essence plus helvétique que le sapin ? Enfin Eugène Rambert revient sur l’accident de Whymper lors de la première ascension du Cervin avec un plaidoyer pour le maintien de la « cordée » dans l’alpinisme.

( *François Walter, « La montagne des Suisses. Invention et usage d’une représentation paysagère (XVIIIe-XXe siècles) », Études rurales, 1991, Volume 121, Numéros 121-124, 1991. De l’agricole au paysage, pp. 91-107. [Consulté en ligne le 16 juillet 2015.], **Claude Reichler, Les Alpes et leurs imagiers. Voyage de l’histoire du regard. [Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2013], 27.)

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