Staël Germaine de – Delphine (tomes 4-6)

Staël Germaine de - Delphine 4-6 - Bibliothèque numérique romande - Laura Barr-Wells Cloître albigeoisStaël Germaine de – Delphine (tomes 4-6) : « Un homme doit braver l’opinion, une femme doit s’y soumettre. » Cet avertissement, placé en exergue au roman, érige le conformisme féminin en vertu sociale. La phrase, tirée d’un ouvrage posthume de Madame Necker, résonne avec une urgence particulière dans le deuxième volume de Delphine. Elle n’est cependant pas sans ambiguïté. Car Madame de Staël, qui croit au progrès et défend la cause des femmes, ne saurait souscrire à la sévère maxime de sa mère. Dès lors, en prenant pour sujet le destin tragique d’une héroïne qui ose braver l’opinion, tandis que l’homme qu’elle aime, Léonce, en est l’esclave, l’auteure ne se borne pas à entériner une société fondée sur deux poids, deux mesures ; elle dénonce avec vigueur le caractère répressif d’un système patriarcal qui se perpétue bien au-delà de l’Ancien régime.

Malgré leur passion réciproque, les deux héros ont peu de choses en commun. Delphine, qui a été éduquée par son tuteur dans le respect de la liberté et de l’égalité, selon les principes philosophiques et religieux des Lumières, incarne l’aristocratie libérale, ouverte au progrès et aux idées nouvelles. Léonce, qui a hérité de sa mère espagnole une conception archaïque de l’honneur et un rigide esprit de caste, représente au contraire sa faction la plus rétrograde. La machiavélique Madame de Vernon aura alors beau jeu de détruire leur union pour favoriser celle de sa dévote fille, Mathilde, qu’elle destine au fier et ombrageux Léonce.

À l’opposé de ce personnage taciturne et avide de pouvoir, en qui certains contemporains virent un portait de Talleyrand habillé en femme, Henri de Lebensei, l’ami et conseiller de Delphine, est un pur produit de l’aristocratie éclairée. Ce protestant, éduqué en Angleterre et inspiré en partie par Benjamin Constant, représente le porte-parole politique de l’écrivain. Ses lettres sont de vibrants réquisitoires contre le mariage forcé, les vœux monastiques, l’émigration. Elles touchent ainsi à tous les sujets chers à Madame de Staël, y compris la loi sur le divorce, votée le 20 septembre 1792, mais sévèrement limitée sous le Consulat.

La Révolution, qui n’était encore qu’une lointaine rumeur au début du premier volume, se précise au fur et à mesure que l’on avance dans le roman. On recueille ainsi, au détour des phrases, les échos des événements les plus marquants de l’époque : la fuite et l’arrestation de la famille royale (juin 1791), la saisie des biens des émigrés (juillet 1792), la chute de la monarchie (10 août), les massacres de septembre et l’entrée de l’armée prussienne sur le territoire français. La guerre révolutionnaire, tel un deus ex machina, précipitera en effet le dénouement. Entre la défaite de Verdun, le 2 septembre 1792, et la victoire de Valmy, le 20 septembre, Léonce, qui s’apprête à rallier l’armée des Princes, est arrêté et fusillé comme traître à la patrie. Delphine, trop faible pour le sauver, se suicide. C’est donc tout un monde qui s’écroule à la fin : Léonce meurt parce que les normes politiques et sociales qu’il représente ne sont plus d’actualité ; Delphine, en avance sur son temps, est victime de circonstances contre lesquelles une femme seule n’a pas la force de lutter.

[Sources : Simone Balayé, Madame de Staël, écrire, lutter, vivre (Droz 1994) ; Madame de Staël, lumières et liberté (Klincksiek 1979).]

Téléchargements : ePUB – PDF – PDF A5 – Kindle-MOBI – HTML – DOC/ODT

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *